Les utilisations de la méthanisation à Annecy

Par Max Dubois – 25 novembre 2021

Avant propos

Aujourd’hui, de nombreuses typologies de sites de méthanisation en injection de biométhane existent. Selon le type d’intrant principal, voici les 5 types de méthanisation qu’il est possible de trouver en région Auvergne – Rhône-Alpes :

  1. Méthanisation agricole
    • Portée généralement par des agriculteurs, elle permet de méthaniser plus de 90% des matières issues des exploitations agricoles.
  1. Méthanisation des boues de STEP
    • Les boues de STEP sont le résidu organique solide obtenu lors du traitement des eaux usées. La méthanisation est la meilleure solution de valorisation pour les boues, sur un plan environnemental puisqu’elle permet une valorisation énergétique (biogaz) et matérielle (réduction du volume de déchets à traiter).
  1. Méthanisation des déchets
    • Dans les installations de stockage des déchets non dangereux, les effluent liquides et gazeux sont récoltés et traités afin de limiter la pollution. Dans le cas de l’effluent gazeux, il peut être épuré et injecté de nouveau dans le réseau de gaz.
  1. Méthanisation industrielle
    • Les projets de méthanisation industrielle sont portés par des industriels et visent à méthaniser des matières et déchets issues des exploitations.
  1. Méthanisation territoriale
    • Ce type de projet est porté par les collectivités territoriales et vise à méthaniser la partie organique des ordures ménagères et biodéchets.

Vous pouvez observer sur la figure ci-dessous la répartition des différents types de méthanisation en région Auvergne – Rhône-Alpes, leurs emplacements et l’énergie créée grâce à l’ensemble de ces sites. 

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Comme indiqué sur la figure précédente, il existe de nombreux sites de méthanisation en Auvergne – Rhône-Alpes qui permettent de traiter les déchets biodégradables et favoriser l’économie circulaire sur les territoires. En effet, les 93 installations de méthanisation (2019) installées dans la région permettent d’injecter 120 GWh dans le réseau de gaz naturel et de produire 300 GWh d’électricité grâce à la cogénération. La région prévoit également de développer 61 autres installations de méthanisation sur son territoire, afin de favoriser l’économie circulaire liée au traitement des déchets.

Nous nous consacrerons, dans le cadre de cet article, au fonctionnement d’un seul centre de méthanisation, à savoir la station d’épuration (STEP) d’Annecy (commune de Cran-Gevrier).

1. Fonctionnement de la station d’épuration

Les stations d’épuration (STEP), au-delà de leur fonction de préservation de nos milieux aquatiques, offrent bien d’autres opportunités pour les territoires. Acceptées par la population locale, patrimoine infrastructurel de la collectivité, la STEP est un outil territorial au cœur des enjeux de développement durable.

Par la digestion des boues issues du traitement de nos eaux usées, la collectivité dispose ainsi d’une source de production de gaz « vert » précieuse pour répondre aux enjeux économiques et environnementaux de son territoire.

En effet, les boues issues des différentes étapes de dépollution des eaux constituent autant de sources de production de biométhane. De plus, outre la production de biométhane, la méthanisation permet également de réduire les volumes de boues de l’ordre de 30 à 40% avant évacuation et valorisation finale. Ainsi la réduction des coûts d’exploitation vient se compléter avec les recettes perçues par la vente du biométhane au profit des collectivités, de leurs politiques de traitement d’eau et de gestion de déchets.

Le potentiel méthanogène d’une boue d’épuration est sa capacité à produire du biométhane du fait de ses caractéristiques biodégradables et donc de sa teneur en matière organique. En moyenne, le potentiel méthanogène d’une boue « biologique » est de l’ordre de 200 Nm3CH4/tonne de matières sèches. L’ajout de boues primaires et de graisses d’épuration permet une augmentation de ce potentiel méthanogène de l’ordre de 30 à 40%.

Les externalités positives qui en découlent sont nombreuses : réduction des émissions de GES (gaz à effet de serre), création d’emplois non délocalisables et source de développement économique local. Le biométhane produit par les STEP participe pleinement à l’émergence d’une économie circulaire territoriale où nos eaux usées deviennent des ressources agronomiques et énergétiques.

La STEP de la région annécienne a la capacité de traiter les eaux usées de 235 000 habitants, permettant de palier la croissance démographique que connait le territoire. En tout, c’est un peu plus de 15 millions de m3 d’eaux usées qui sont traitées par an. Les différentes étapes de traitement de ces eaux sont présentées dans la figure ci-dessous, chacune de ces étapes permettant la production de graisse ou de boue qui serviront, par la suite, à la méthanisation.

VERACY cabinet conseil environnement étapes méthanisation

A chaque étape du traitement ci-dessus, une partie de la pollution des eaux usées de la région annécienne est ainsi captée : graisses, boues « primaires » et boues biologiques constituent des sources de production de biogaz après leur méthanisation. La méthanisation de ces matières résiduelles, issues du traitement des eaux usées, permet par ailleurs pour la STEP d’Annecy de réduire les volumes de boues de l’ordre de 40% avant l’évacuation et la valorisation finale.

Les 22 mille tonnes de boues ainsi récoltées en sortie de la STEP sont ensuite méthanisées par voie liquide (< 12% de matière sèche). En complément, les boues de la STEU de Poisy sont également acheminées par canalisation sur 2 km pour être méthanisées dans les deux digesteurs de boue d’une capacité de 8500 m3. L’installation totale de méthanisation comprend donc ces 2 digesteurs, un gazomètre de 2400 m3 avec 2 membranes de stockage du biogaz, une torchère de sécurité, et un système d’injection du biométhane. 

Le type de méthanisation utilisé par l’usine annécienne est appelé mésophile (37 °C) en voie liquide infiniment mélangé. Elle fonctionne ainsi depuis sa création en 2017, mais un projet a été lancé afin de passer en mode thermophile (55°C) en 2021. Le but de ce changement est d’augmenter la production de biogaz grâce à l’augmentation de la cinétique de réaction d’hydrolyse.  

2. Le processus de méthanisation des boues usées

Suite à leur traitement dans la station d’épuration, les boues usées sont ensuite méthanisées afin de créer le fameux Biogaz. 

La première étape de ce processus de méthanisation est le brassage. Il s’agit d’un point très important pour le bon déroulement de la méthanisation. Il va permettre une bonne homogénéisation de la température, du pH, etc… En effet, la présence trop importante de zone morte va créer des conditions défavorables pour la flore méthanogène, et peut aller jusqu’à provoquer l’arrêt du réacteur. Pour l’installation de méthanisation annécienne, le brassage du digesteur est assuré par la recirculation et le bullage du biogaz.

Le processus de méthanisation par digestion anaérobie de l’usine d’Annecy met ensuite en jeu les différentes étapes biochimiques correspondant à l’action des groupes bactériens, à savoir :

  • L’hydrolyse de la matière organique.
  • L’acidogenèse, transformation de la matière organique en acide gras.
  • L’acétogenèse, formation d’acétate, d’hydrogène et de gaz carbonique à partir des acides gras.
  • Et la méthanogenèse qui conduit à la formation de méthane à partir des produits de la réaction précédente.

La première étape d’hydrolyse correspond à la dégradation des macromolécules organiques (protéines, lipides, polysaccharides…) en monomères (acide aminé, acide gras, oses…). Ce sont les bactéries dîtes hydrolytiques qui vont permettre de casser des structures organiques complexes en libérant des enzymes (protéases, lipases, cellulases…). Cette étape est déterminante pour la suite de la fermentation, car seules les molécules simples seront biodisponibles pour la suite du traitement.

La 2ème étape est l’acidogénèse, et dans celle-ci, les monomères sont fermentés principalement en acide gras volatil (AGV), en alcools, en H2 (dihydrogène) et en CO2 (dioxyde de carbone). Les bactéries responsables de cette étape sont nombreuses, on les appelle les bactéries fermentaires.

La 3ème étape est l’acétogénèse, durant laquelle une grande partie des acides gras volatils (AGV) et des alcools est assimilée par les bactéries acétogènes autotrophes pour former de l’acide acétique (CH3COOH). Une autre partie est convertie en hydrogène et dioxyde de carbone.

Enfin la dernière étape, appelée méthanogenèse, est réalisée par des bactéries spécifiques, les archéobactéries. Seule cette dernière étape est anaérobie au sens strict.

  • Les bactéries acétotrophes, transforment l’acétate en CH4 (méthane) et H2O (eau)
  • Les bactéries hydrogèneotrophes (méthanogènes hydrogènophiles) permettent l’oxydation de H2 (dihydrogène) par le CO2 et finalement l’obtention de CH4 (méthane) et de CO2.

Nous pouvons observer sur la figure suivante les grandes étapes de fonctionnement du système de méthanisation des eaux usées, pour les principales installations de méthanisation de STEP à injection françaises.

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Pour revenir à notre étude du système annécien, les boues passent donc au total un séjour de 23 jours au sein des digesteurs, avant de ressortir et d’être incinérées dans une usine appelée Sinergie. Les boues traitées passent auparavant dans un système de récupération de chaleur, contenant notamment une pompe à chaleur, permettant ainsi d’optimiser la capacité d’injection. En effet, la mise en place de cette PAC a permis de passer de plus de 30% de biogaz utilisé pour le réchauffage du méthaniseur à une autoconsommation directe du biogaz quasi nulle en condition normale de fonctionnement. Une chaudière avec brûleur mixte biogaz/gaz naturel assure l’appoint en cas de besoin. 

Enfin un gazomètre de 2 400 m3 permet un stockage tampon du biogaz correspondant à environ 6 heures de production.

Finalement les boues restantes sont envoyées à l’usine Sinergie qui permet le traitement des déchets de la région annécienne, et possède une capacité de 96 000 tonnes d’ordures ménagères et 20 000 tonnes de boues de station d’épuration.

Avec cette unité de méthanisation des boues, la ville d’Annecy s’inscrit dans une solution d’avenir et rentre dans le cercle vertueux de l’économie circulaire où le déchet devient une source de richesse locale. Grâce à ce système de méthanisation des boues rejetées par la station d’épuration, un peu plus de 16 GWh/an de biogaz sont produits et 100% de celui-ci est valorisé. Le biométhane produit permet donc de chauffer plus de 1500 foyers, ou de quoi faire rouler 70 bus.

Cette opération ayant nécessité un investissement global de 14 M€ (3 M€ de subvention de la part de l’ADEME et des organismes régionaux), son retour sur investissement est de seulement 6 ans. Les recettes de la revente de biogaz sont estimées à 1,6 M€, auxquelles s’ajouteront des économies générées par la baisse du volume de boues à traiter. 

En effet, le transport des boues jusqu’à l’usine d’incinération coûte 155€/tonne. Le fait que les digesteurs utilisent environ 8 mille tonnes de boues sur les 22 mille tonnes produites par la STEP, permet d’obtenir environ 1 M€ d’économie par an.

3. Les avantages de la Méthanisation

Comme nous pouvons le constater, la méthanisation des eaux usées présente donc d’énormes avantages, outre la création de biogaz pour les communes mettant en place ces systèmes.

Voyons quels sont donc les avantages de ce système de méthanisation des eaux usées pour la commune d’Annecy :

  • Le biogaz produit, qui résulte de la digestion des matières organiques (boues et graisses), est une énergie verte. En effet, Le biométhane produit sur une station d’épuration est 14 fois moins émetteur de gaz à effet de serre que le gaz naturel fossile (valeur référence base Carbone ADEME de 16 kg CO2/MWh PCI contre 230 kg CO2/MWh PCI). Le biogaz est épuré en biométhane, ce dernier étant directement injecté dans le réseau de gaz naturel GRDF existant, après odorisation. L’injection est opérationnelle depuis le 10 janvier 2017. 
  • La quantité de boue à déshydrater et à transporter à l’usine de traitement des déchets Sinergie pour y être incinérée, est réduite de 35 à 40 %, permettant ainsi de diminuer la consommation d’énergies non renouvelables (réduction de l’empreinte carbone) et les émissions de gaz à effet de serre (réduction du nombre de trajets en camion sur les routes).
  • La gêne olfactive pour les riverains liée au transport des boues est atténuée puisque celles-ci sont stabilisées par voie biologique.
  • De plus, les sous-produits de l’assainissement sont désormais valorisés : les sables sont nettoyés dans une unité de lavage et peuvent être utilisés sous forme de remblais routiers (au lieu d’être enfouis) et les graisses sont envoyées dans l’ouvrage de méthanisation pour produire du biogaz au même titre que les boues (au lieu de partir directement à l’usine de traitement des déchets Sinergie).

De plus, le biogaz peut être valorisé de nombreuses façons, sous forme :

  • De chaleur par combustion directe dans une chaudière
  • D’électricité grâce à une turbine
  • De chaleur et d’électricité par le biais de la cogénération

Nous pouvons observer sur la figure suivante le nombre de foyers (RT 2012) capables d’être alimentés en biogaz en fonction des capacités de production des unités de méthanisation des eaux usées en injection françaises.

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Enfin, outre les usages habituels du gaz naturel (chauffage, électricité, etc…), l’utilisation du biométhane dans la mobilité est particulièrement mise en avant car :

  • Le faible coût du GNV/BioGNV (Gaz Naturel pour véhicules) permet au propriétaire d’une flotte d’amortir son investissement
  • Le BioGNV représente jusqu’à 50% de réduction d’oxyde d’azote (NOx, 3ème gaz à effet de serre après le CO2 et le CH4) et jusqu’à 95 % de réduction d’émissions de particules fines,
  • Enfin le BioGNV a un bilan carbone quasi-neutre : Le CO2 libéré à l’échappement est quasi-équivalent au CO2 absorbé.

La valorisation du biogaz en biocarburant participe donc au développement d’une économie circulaire liée à la revalorisation des déchets, mais également à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Nous pouvons voir sur la figure suivante la réduction de ces émissions pour les principales STEP en injection sur le territoire français (2019).

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C’est pourquoi le territoire français vise à développer fortement la méthanisation par injection des stations d’épuration, en témoigne la figure ci-dessous qui montre qu’entre 2020 et 2023, GRDF prévoit que le nombre de sites et la production de biométhane soient multipliés par 2.

 

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Afin de conclure cet article, les procédés de méthanisation des stations d’épuration en injection favorisent l’indépendance énergétique et agronomique des territoires. Ils permettent également de créer des emplois locaux non-délocalisables pour la construction, la maintenance et l’exploitation des différentes installations, de développer la mobilité verte (via l’utilisation du BioGNV) et donc, de répondre aux enjeux de qualité de l’air.

Ces procédés permettent aussi de produire et d’utiliser de l’énergie locale créée par la revalorisation des eaux usées des territoires, ce qui favorise le développement de l’économie circulaire et permet de faire face à la raréfaction des ressources non renouvelables et à la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Au-delà d’un renforcement du recyclage, l’économie circulaire consiste à réfléchir à une utilisation optimale des ressources locales des territoires, à optimiser la gestion des flux entre les acteurs et à développer les énergies renouvelables.

La méthanisation, et plus particulièrement le biométhane, participent donc au développement d’une économie circulaire territoriale où les déchets deviennent une ressource d’énergie, avec des bénéfices multiples pour les territoires :

  • La valorisation des déchets,
  • Une production d’énergie locale,
  • L’autonomie en énergie pour les véhicules et bâtiments publics,
  • L’utilisation d’infrastructures de réseaux existantes
  • La prévention de la qualité des sols et des nappes phréatiques,
  • La réduction des émissions de gaz à effet de serre,
  • La création d’emplois locaux,
  • Ainsi qu’un dynamisme économique réel.

Ces projets contribuent également aux politiques locales de développement des énergies renouvelables et à l’atteinte des objectifs nationaux prévus dans la loi de transition énergétique pour la croissance verte : 15% de carburant d’origine renouvelable et 10% de la consommation finale de gaz d’origine renouvelable en 2030.

C’est pourquoi le territoire du Grand Annecy et de la ville d’Annecy mettent en avant l’utilisation du Biogaz à travers leur schéma directeur des énergies. Avec notamment des projets comme la mise en place d’une station GNV (pour les véhicules fonctionnant au gaz naturel) afin de décarbonner le secteur du transport, ainsi que la construction de 3 nouveaux méthaniseurs afin de développer cette énergie renouvelable sur le territoire annécien. 

 

Source : 

BIOMETHANE – STATIONS D’EPURATION RETOURS D’EXPERIENCE INJECTION – GRDF 

Et si nos eaux usées devenaient du gaz vert ? –  GRDF                                                               

 SILA – l’usine Sinergie   

 La biomasse – Ademe

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